Qualifié en Coupe d’Europe, leader du championnat portugais et vainqueur des deux classiques nationaux, le Sporting réalise pour l’instant une excellente saison en terme de résultat. Dans le jeu, l’équipe de Jorge Jesus se distingue par un intense pressing tout terrain, et un bloc extrêmement compact en phase défensive.

Brillant par son jeu aérien et hyper agressif au pressing, Islam Slimani est le symbole d’un Sporting en pleine réussite cette saison
Compacité horizontale : abandon du latéral opposé
Premier gros coup réalisé par le Sporting cette saison, la victoire 3-0 à l’Estádio da Luz face au Benfica a permis de mettre en lumière le premier principe défensifs de l’ancien coach Benfiquiste : une énorme densité côté ballon, et donc un bloc très compact latéralement.
D’abord à travers l’attitude des attaquants (Slimani et Téo ce jour là) qui ont constamment chargé la charnière centrale du Benfica. En règle générale, la plupart des plans défensifs conçus par les entraineurs laissent leur ligne d’attaque en sous-nombre (-1 joueur) pour s’autoriser un surnombre ailleurs (+1), le plus souvent derrière. Pas chez Jorge Jesus, qui cherche constamment à créer un 2 contre 2 avec les centraux adverses. En partant du principe que les défenseurs axiaux sont souvent les joueurs les moins techniques d’une équipe, ce pressing (vraiment) total du Sporting met souvent ses adversaire en difficulté dès le coup d’envoi, qui consiste en un ballon long, suivi de ce fameux pressing à deux contre deux.

La charnière centrale du Benfica harcelée : le duo d’attaque du Sporting vient constamment la presser à 2 contre 2
Contre le 4-2-2-2 du Benfica, c’est au milieu que le Sporting « payait » son pressing ambitieux. William Carvalho étant la pointe basse de ce 4-1-3-2, la ligne [Bryan Ruiz (ce jour là milieu gauche) – Adrien Silva – Joao Mario] devait gérer 4 joueurs sur la largeur : les 2 latéraux du Benfica et le cœur du jeu à 2. À ce moment-là, le parti pris de Jorge Jesus est clair : il abandonne le latéral opposé :
- L’ailier côté ballon charge le latéral côté ballon
- Adrien Silva charge le relayeur côté ballon
- L’ailier opposé resserre sur le relayeur opposé
- Le latéral opposé est laissé libre
Derrière, William Carvalho reste en couverture ; s’il y a un 10 en face, il le marque lorsqu’il est dans sa zone (lors des décrochages de Jonas contre Benfica par exemple). Cela dit, si l’adversaire utilise vraiment bien la largeur, et qu’Adrien Silva est en difficulté, Carvalho peut sortir sur le porteur, éventuellement couvert par Silva, qui devient à son tour le « libéro » du milieu de terrain
Le latéral opposé est constamment libre avec ce plan compact latéralement, mais en contre partie, il est très difficile de créer un circuit de renversement pour aller le toucher, étant donné qu’il n’existe aucune solution courte autour du porteur.

Le schéma de pressing du Sporting contre Benfica : 2v2 créé avec les centraux adverse, 3 milieux pour gérer la largeur, et Carvalho et libéro du milieu de terrain
Compacité verticale : un hors-jeu ambitieux mais risqué
En plus ce cette agressivité maximale devant, le Sporting se distingue par une ligne particulièrement haute, et un piège du hors-jeu ambitieux. En se permettant de ne laisser de la liberté – en théorie – qu’au gardien et au latéral opposé adverses, Jorge Jesus positionne sa défense particulièrement haut – à peu près à 40m de son but sur les phases de pressing – et compte sur un cadrage efficace du porteur pour permettre à sa ligne défensive de remonter.
Sur les phases de pression haute, la ligne défensive se positionne sur une ligne imaginaire 5 mètres derrière la médiane, tangente du rond central, à son point le plus bas. Ainsi, les défenseurs verts et blancs empêchent le gardien de « profiter de sa liberté » pour alerter immédiatement la profondeur comme l’avait fait Ter Stegen face au pressing total du Bayern (les défenseurs bavarois se plaçaient carrément à la médiane) sur l’occasion de Suarez en début de match.
On l’a vu en tout début de partie contre Benfica : sur un renversement rapide de la droite vers la gauche à destination d’Eliseu, les Benfiquistes arrivent à créer une situation de flottement : le latéral Portugais a un temps d’avance sur Joao Mario (il n’est pas cadré) et il peut alerter Guedes (ailier gauche) dans le dos de Joao Pereira (arrière droit) (voir vidéo plus bas).
Ici est le risque : si l’adversaire casse le pressing alors que la défense remonte avec le bloc, le Sporting peut se retrouver à jouer le hors-jeu sur un fil, alors que le porteur n’est pas parfaitement cadré. Joao Pereira passera tout près du rouge sur cette action, sur laquelle Guedes est tout de même hors-jeu.
Même lorsque le pressing du Sporting est cassé par un dribble ou un renversement, et que la défense se repli, pour finalement dégager le ballon, elle recommence à sortir pour jouer le hors-jeu dès que la surface est nettoyée.
Là encore, la double compacité du bloc offre de la liberté aux défenseurs adverses sur jeu placé. Pour autant, la remontée de la ligne est toujours efficace, bien que risquée : Que ce soit Eliseu contre Benfica ou Maxi Pereira contre Porto, même les latéraux adverses sont pris au piège du hors-jeu dans le camp du Sporting quand la ligne remonte – alors que le porteur n’est pas forcément cadré, et que le receveur est hors de portée de la défense au cas où il est en jeu.
Cela dit, avant d’en arriver là, il faut déjà parvenir à renverser, ce qui n’est pas gagné avec un pressing total côté ballon…
Variations contre Porto : adaptation au 4-2-3-1 et à la sortie courte
Face au FC Porto de Lopetegui, Jorge Jesus a du faire face à d’autres problématiques : d’abord un cœur du jeu à 3 (quoique positionné en 2-1) [Danilo – Neves / Herrera] ; et – contrairement au match face à Benfica – une équipe qui avait la volonté de sortir court, en utilisant la largeur et le décrochage d’un milieu de terrain.
Pour résoudre cette équation face à la personnalité joueuse de Lopetegui, le coach portugais a du adapter son schéma défensif, et proposer un schéma de pressing spécifique face à la sortie courte du FC Porto.
Son pressing s’opérait en 2 temps, avec un schéma pur chaque situation :
D’abord un schéma classique, en 4-1-4-1, pour réagir à la perte du ballon face au 4-2-3-1 de Porto :
- Bryan Ruiz (partenaire d’attaque de Slimani en phase offensive dans le 4-1-3-2) venait occuper un poste de relayeur gauche face à Danilo Pereira
- Adrien Silva (seul, une ligne au dessus de Carvalho en phase offensive dans le 4-1-3-2) devenait relayeur droit à la perte du ballon et chargeait Ruben Neves)
- Derrière eux, William Carvalho prenait le marquage d’Herrera (pointe haute du losange), lorsqu’il était dans sa zone
- Devant, Slimani se retrouvait à 1 contre 2, face à Maicon et Martins Indi

La transition défensive du Sporting à la perte du ballon, passage du 4-1-3-2 au 4-1-4-1 : Ruiz qui quitte son poste d’attaquant axial gauche pour prêter main forte à Adrien Silva face à la paire Danilo – Neves
Problème : au delà du tableau noir, une équipe entrainée par Lopetegui ne va pas passer le match en 4213, à envoyer des longs ballons à ses ailiers et à son 9.
Il va falloir l’y forcer.
En laissant Slimani à 1 contre 2, utiliser la largeur aurait été assez aisé pour Maicon et Martins, qui auraient pu profiter du 2 contre 1 qu’un plan de pressing « classique » comme ce 4-1-4-1 (face à un 4-2-3-1) leur aurait offert face au 9 adverse.
Jorge Jesus a donc mis en place un plan spécial face à la sortie courte de Porto. Il a systématiquement créé un 3 contre 3 face à la salida lavolpiana de Lopetegui. Porto forme un trio de relance avec ses 2 centraux et un des ses milieux défensifs, le Sporting a créé un trio pressing pour y répondre.
Sur les sorties (systématiquement) courtes de Porto, Adrien Silva venait prendre au marquage individuel le milieu « décrocheur » (Danilo ou Neves), alors que Slimani et Bryan Ruiz isolaient Maicon et Martins Indi pour créer un 3 contre 3 empêchant toute possibilité de jeu court. Une fois Porto forcé au jeu long, la ligne haute décrite plus haut et le surnombre (+1) derrière permettait au Sporting de contrôler la profondeur.

Le Sporting bloque la sortie courte de Porto : Adrien charge le milieu qui décroche, et les attaquants sont à 2 contre avec les centraux
Forcément, pour s’offrir le luxe de bénéficier du « +1 » derrière, comme de s’affranchir du « -1 » devant, Jorge Jesus a du adapter intelligemment son schéma de pressing. Là encore, la réponse est la compacité latérale :
C’est côté opposé que J. Jesus choisissait de déplacer son « -1 » : avec l’ailier opposé dans une position intermédiaire entre le 2e relayeur (celui qui n’est pas concerné par la sortie courte) et le latéral opposé, qui – en définitive – était le joueur « abandonné » qui permettait ce pressing total, tout en gardant le contrôle de la profondeur.
En plus du 3 contre 3 face à la sortie courte, le coach Portugais créait deux autres 1 contre 1 côté ballon :
- milieu latéral côté ballon au marquage du latéral côté ballon
- latéral côté ballon au marquage de l’ailier côté ballon (il le suit jusque dans ses décrochages)
Une gestion numérique qui rappelle la fameuse phrase de Guardiola sur la zone : « Ne marquez pas un joueur, occupez l’espace entre deux joueurs ».
Dans cet esprit, le marquage de William Carvalho sur Herrera n’était pas une individuelle stricte. Si le milieu de terrain mexicain prenait le parti de plonger en profondeur, alors Carvalho le lâchait, et allait créer de la densité autour du ballon pour aider à une récupération qui se veut la plus rapide possible.
Avec ce cadrage efficace du porteur, empêchant toute possibilité de jeu court, la défense pouvait remonter avec le bloc pour mettre Aboubakar hors-jeu, et ainsi priver également Porto du jeu long et direct, auquel Slimani, Ruiz et Silva avaient forcé les défenseurs de Lopetegui.

La sortie courte de Porto bloquée par le Sporting : 3v3 à la relance, une ligne haute, le « +1 » derrière, et le « -1 » côté opposé (plutôt que devant)
En ce sens, l’animation défensive de Jorge Jesus est particulièrement riche : Elle s’adapte intelligemment à l’animation offensive de l’adversaire, au delà de son schéma. En échangeant intelligemment les marquages et en conservant la structure du bloc (haut et compact) le Sporting a empêcher Porto de sortir court, et ainsi gagné la bataille du territoire.
Là ou Gignac et Payet était torturés par 3 relanceurs parisiens dans le système de Bielsa. Jorge Jesus apporte un joueur de plus face à la sortie de balle adverse, et choisit de positionner son « -1 » non-pas systématiquement devant, mais plutôt sur le côté opposé au ballon, libérant presque totalement Miguel Layun, quand le ballon était chez Maxi Pereira par exemple.
L’attaque en 4-1-3-2 : déviations et courses croisées
En phase offensive, le 4-1-3-2 se confond avec un 4-2-3-1. Le cœur du jeu Adrien Silva – William Carvalho se comporte comme un double pivot, alors que le 2e attaquant se déplace latéralement vers le côté ballon. A ce moment, le Sporting implique 4 joueurs dans la construction du jeu sur le côté, sans compter la profondeur ou l’appui offert par Slimani :
- le latéral côté ballon
- William Carvalho ou Adrien Silva
- L’ailier côté ballon
- Le second attaquant (qui devient une sorte de 10 d’un 4-2-3-1)
Dans cette formule à double pivot, les angles de passes sont relativement fermés et l’animation est assez verticale. Les courses croisées des vert et blanc se doivent d’être complémentaires : Si Joao Mario propose une course verticale, pour aller chercher une position de centre ; alors Bryan Ruiz va décrocher, et demander le ballon dans les pieds. Dans le même esprit, si Joao Mario décroche pour créer un triangle avec Joao Pereira et William Carvalho (ou Adrien Silva), alors Bryan Ruiz va attaquer la profondeur, et tenter une déviation. Cette complémentarité des déplacements est également valable pour les latéraux, qui rentrent à l’intérieur lorsque leurs ailiers collent la ligne (plus le cas avec Mané et Matheus, qu’avec Joao Mario et Bryan Ruiz).

L’animation offensive du Sporting en 4-1-3-2 : beaucoup de possibilités pour chaque joueur entre la largeur et l’axe, le décrochage et la profondeur, selon le déplacement des autres
Forcément, avec une animation offensive dans laquelle le changement de rythme intervient relativement tôt, le jeu de déviation en une touche de balle (pas forcément de la tête) est une part prépondérante de l’animation offensive du Sporting, qui repose également sur l’habileté technique et la capacité de ses joueurs à réaliser ces déviations habiles et ces enchainements rapides. D’autant plus lorsque la défense adverse est repliée, et que les 5 joueurs offensifs (le 3-2 du 4-1-3-2) se trouvent tous dans le dernier tiers (en plus du latéral), il faut finir vite, et donc trianguler en une touche dans des espaces très réduits.
Au delà de ces aspects du jeu placé du Sporting, il est impossible de dissocier totalement le plan défensif du plan offensif, comme on l’a vue contre Benfica dans la vidéo plus haut. Beaucoup de concepts défensifs sont réutilisés dans le jeu d’attaque : Quand Téo marque contre Benfica, le 2v2 qu’il crée avec Slimani face à Luisao et Jardel en phase défensive est utile en phase offensive au moment de la transition. Une bonne partie de l’identité offensive de ce Sporting est lié à son identité défensive, avec un schéma défensif qui invite souvent à une transition très verticale : l’équipe n’a plus de vraie structure positionnelle avec 4 milieux sur 5 mètres autour du ballon au moment de passer à l’attaque.
Avec des angles de passes pas toujours très ouverts, le système tient aussi grâce au talent de son cœur du jeu : la justesse de William Carvalho, et sa capacité à bien orienter le jeu, et la mobilité d’Adrien Silva et sa capacité à créer lui même le temps d’avance par ses dribbles et ses projections.
Avec un pur avant-centre comme Slimani devant, le Sporting n’a pas de « troisième homme » pour sortir le ballon. C’est pour cette raison que le changement de rythme intervient assez tôt en règle générale. En contre partie, l’attaquant algérien offre un point d’appui utile pour se sortir du pressing. Son profil ouvre également la possibilité d’un jeu de centre intéressant avec le 2e attaquant, l’ailier opposé et Adrien Silva qui n’est jamais loin de la surface au moment de finir les actions.
Un système riche, basé sur le pressing et les variations
Cruyff disait : « On ne peut pas jouer à 4 derrière et 4 au milieu, car les triangles disparaissent ». Il est vrai que le Sporting doit souvent jouer long ou changer de rythme très tôt dans cette formule. Quand le circuit de renversement est une ligne droite, la circulation rapide du ballon tient sur la qualité individuelle de Carvalho et Adrien Silva.
Pour autant, le Sporting applique bel et bien le concept du troisième homme, même en jouant en 4-4-2. Quand un défenseur a le ballon dans les pieds, et qu’il n’a pas de solution courte, la profondeur – de Slimani, de Ruiz, ou d’un des deux ailiers – joue le rôle du troisième homme pour le Sporting dans cette configuration. Elle ouvre des possibilités intéressantes dans le derniers tiers, comme les centres. L’option du jeu long pourra être utile pour se sortir du pressing de Leverkusen, dans un match qui s’annonce explosif entre deux des plus gros pressing d’Europe.
Variations du rythme et des combinaisons en attaque, variations des animations et des schémas en défense : En s’adaptant parfaitement au schéma du Benfica, comme à celui de Porto, Jorge Jesus a obtenu 2 succès dans les 2 premiers classiques de la saison, dans lesquels son équipe est parvenue à ne pas encaisser de buts, grâce à un pressing tout terrain spectaculaire et des micro-adaptations efficaces.
Victor
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Excelente análise! Essencial para que os adeptos entendam aquilo que se vê no estádio ou na TV. O sistema de jogo é arriscado e ousado, e isso premeia ainda mais aquilo que o Sporting tem feito.
Prevê-se escaldante o duelo com o Leverkusen, que não conheço bem mas que, já percebi, usa uma pressão idêntica.
Bom trabalho! Obrigado, desde Portugal!
Analyse magnifique, d’une pertinence rare comme d’habitude. Si j’entrainais un club de ligue 1, je vous prendrais à l’analyse vidéo 😉 ! Continues!
Very good analysis. congratz