Qualifiée in-extremis pour les demi-finales de la Copa América qu’elle organise, la Roja est toujours en vie après un match fermé et tendu face à l’Uruguay, marqué par le rouge polémique de Cavani. Après 4 sorties et plusieurs ajustements, analyse du style, des forces et des limites de l’équipe de Jorge Sampaoli.
Porté par une génération qui est surement la meilleure de son Histoire, le football Chilien vit un moment unique. Un an après la douloureuse élimination face au Brésil, après avoir triomphé de l’Espagne dans le groupe de la mort, les Chiliens ont l’occasion d’ajouter une première ligne à un palmarès vierge.
Dans ce contexte de réussite obligatoire, leur rêve est toujours en vie, malgré un parcours inégal, dont la principale satisfaction est la main infligée à la naïve Bolivie. Opposés à l’Uruguay dans un violentissime choc des cultures, les Chiliens ont du attendre la 80e minute pour créer une différence face une Céleste réduite à 10 par la fourberie de Jara. Sans solution offensive face au 442 bas et compact de Tabarez, ils avaient déjà connu plusieurs problèmes dès leur match d’ouverture, laissant entrevoir certaines de leurs limites.
Projection / Proposition
Poncif absolu, mais rappel d’importance : ce Chili de Sampaoli a été bâti par Marcelo Bielsa. Son identité est donc foncièrement offensive. Mais sa manière d’attaquer est bien particulière.
A la manière du Bayern de Guardiola, de l’OM de Bielsa ou encore de l’Ajax de Van Gaal (lire : la « 3e voie » théorisé sur ce blog dans l’analyse Bayern – Porto) il ne base pas son jeu offensif sur le contrôle du cœur du jeu.
Plus que des joueurs qui proposent (en décrochant), les milieux de terrain ou les latéraux Chiliens sont des joueurs qui attaquent le camp adverse (en se projetant). Et ce dès la relance. Si l’Espagne ou le Barça jouent (ou jouaient) – dans l’idéal – avec 10 milieux de terrain ; le Chili lui, n’en utilise – dans l’idée – aucun.
Ce schéma est encore plus effectif avec le système à trois défenseurs : 4 joueurs défensifs (Medel, Jara, Mena + le milieu défensif Marcelo Diaz) et 6 joueurs offensifs (les 3 autres milieux axiaux (Aranguiz, Vidal, Valdivia) ; les 2 latéraux ; et Alexis). Un [4+6] caractéristique de Bielsa qui a pour effet négatif de couper l’équipe en 2. Sampaoli abandonnera définitivement ce schéma pour repassser en 4-3-3 après le match nul face au Mexique, à la demande des joueurs.
Le retour au 4-3-3 a été demandé par les joueurs. #CHIBOL #Chile pic.twitter.com/DWJVkZzGDb
— Romain Laplanche (@rolapche) 20 Juin 2015
Dès la première passe de Bravo, les latéraux Isla et Beausejour (ou Mena) se projettent vers le camp adverse sans offrir de solution courte à leurs centraux. Ils sont joints par des diagonales (longues) ou des déviations (au sol) après des passes verticales. Conséquence : les « canaux » [Medel – Isla] et [Jara – Beausejour] n’existent plus.
Quand le Chili joue à 3 derrière, l’équipe devient un 3-1-6 en possession dans lequel le jeu long n’est d’aucun secours, étant donnés les profils athlétiques à disposition de Sampaoli (ses joueurs offensifs oscillent autour du mètre 70). Si ce schéma est surtout effectif avec une défense à 3, leur comportement ne change pas vraiment lorsque le Chili joue en 4-3-3 (4-3-1-2). Du 3-1-6, le Chili passe au 2-1-2-5 (les « 5 » étant les 3 attaquants et les 2 latéraux).
Face à la Bolivie (Chili en 4-3-3), c’est surtout la faiblesse et la naïveté défensive des Andins qui permet à Vargas de rapidement faire tourner le match dans le bon sens après un long ballon de Medel.
Ce jeu d’occupation des intervalles plutôt que de propositions courtes a pour conséquence principale de produire une « ligne » de 5 ou 6 joueurs devant le ballon. Pas forcément négatif dans l’absolu (cf la démonstration offensive du Bayern dans ce style contre Porto), mais à condition que les séquences soient conclues par des centres, comme c’est systématiquement le cas dans les équipes entrainées (ou influencées) par Bielsa citées plus haut.
Problème : les Chiliens n’ont pas de profil offensif capable d’imposer sa taille ou son jeu de tête, comme Llorente, Gignac ou même Batistuta ont pu le faire à Bilbao, à Marseille, ou dans l’Argentine de Bielsa.
Il n’y avait pas non-plus de connexion courte entre F. De Boer (stoppeur gauche) et Overmars (ailier gauche) dans le 3-4-3 l’Ajax ; ou entre Badstuber et Götze (même postes, au Bayern) ; mais il y avait Kanu ou Lewandowski pour atteindre le camp adverse, et (ou) conclure les séquences par des centres. Là est la première limite offensive – et (car) athlétique – du Chili.
La combinaison plutôt que le centre / une dépendance au dribble
Ainsi, les séquences ont tendance à « s’écraser » sur les défense adverses. Le latéral ou l’ailier est décalé, la surface est attaquée : toutes les conditions sont réunies pour le centre… sauf la taille. Instinctivement, les Chiliens jouent dans l’axe et choisissent une combinaison souvent impossible : ils sont alors tous sur la même ligne, et la profondeur n’existe plus. A ce moment-là, seule la qualité de dribble leur permet de créer le danger, même dans un 4-3-3 plus compact que le 3-6-1.
La nature (à la fois physiologique et footballistique) des Chiliens les pousse à préférer systématiquement la combinaison axiale au centre au moment de conclure ces séquences qui se finissent sans milieu de terrain, à cause de cette projection massive vers la surface adverse. A mesure que l’attaque placée se rallonge (vu qu’elle ne se conclut pas par un centre), toujours plus de joueurs sont impliqués dans le mouvement offensif, rendant la transition défensive encore plus compromise (parfois jusqu’à 7 joueurs « éliminables »).
Avec plus de lucidité, l’Equateur avait largement les moyens de se créer de bonnes situations en contre.
L’Uruguay en contrôle / Le(s) dilemme(s) de Sampa
Ce match était un affrontement typique d’attaque-défense entre un 433 d’attaque et de possession et un 4-2-3-1/4-4-2 de contre. Dans son climat et son visage tactique, il rappelait même les Barça – Real les plus tendus de l’année 2011. Le schéma était classique : l’Uruguay adoptant une position basse pour contrôler la percussion et le jeu de position chilien, en attendant le déséquilibre pour contrer (ou tout simplement les tirs au but) :
- Rolan et Cavani contre Jara, Medel et Marcelo Diaz (3v2 Chili)
- La ligne des 4 milieux contre les relayeurs et les latéraux (4v4)
- Et le Back4 face aux 3 attaquants Sanchez, Valdivia et Vargas (4v3 Uruguay
Première évolution pour ce ¼ de finale au sommet : la disponibilité des latéraux dans la construction du jeu. Isla et Mena se sont montrés beaucoup plus proches de Medel et Jara et ont récréé ce « canal » qui n’existait pas (et encore moins en 3-5-2) lors du premier tour. Même lorsqu’ils se joignent à l’attaque, c’est que Vidal (ou Aranguiz) et Vargas (ou Alexis) avaient décroché d’une ligne.
Si les décrochages axiaux de Valdivia ont pour objet de créer un 3 contre 2 au cœur du jeu (Valdivia + Vidal + Aranguiz contre Arevalo et Gonzalez), ils sont vains à partir du moment où ils n’ont pour seul effet que de produire un confortable 4 contre 2, ou 4 contre 3 derrière à l’avantage de l’Uruguay. Avec un back4 beaucoup plus fort (et beaucoup moins naïf) que ceux que le Chili avait croisé jusqu’alors.
On peut notamment penser à la Bolivie, qui craque sur un long ballon dès l’entame malgré un 3 contre 1 à gérer face à Vargas. Face à moins de naïveté et plus d’impact, le Chili tombe sur un os.
Le dilemme tactique offensif de Sampaoli pour ce match était très difficile à trancher :
- si ses joueurs (notamment les latéraux) se projettent massivement (à la Bielsa), son équipe est coupée en 2
- s’ils décrochent et proposent pour sortir le ballon (à « l’Espagnole »), l’Uruguay reste en contrôle derrière grâce au surnombre, et à une force défensive et tactique sans égal sur le continent sud-américain.
Le Chili reviendra progressivement à son style naturel en seconde mi-temps, avec plus de centres, mais toujours ce soucis de taille pour les conclure. Ainsi, jusqu’au but (qui vient 20 minutes après le rouge), Muslera n’aura pas à effectuer pas un seul plongeon face à un Chili incapable de créer le moindre décalage. La solution viendra d’un centre, mais la clé est surtout l’absence d’un attaquant Uruguayen pour jouer le second ballon. Sans ce « fait de jeu », difficile de savoir comment la Roja aurait pu créer le moindre décalage face à la Céleste, même avec Pinilla.
Plus petits = plus bas
Avec une possession proche des 20% l’Uruguay est tout de même parvenu à tirer 6 fois au but. Les hommes de Tabarez n’ont pas spécialement réussi à se créer des situations sur contre-attaque. D’abord à cause de leur pauvreté technique, aussi à cause de l’excellente transition chilienne sur les pertes de balles, qui est également un effet de ce 4-3-3 moins Bielsien, et logiquement plus compact.
Si il n’y a rien à dire sur le rendement défensif des milieux, celui des défenseurs est plus discutable. Encore une fois, ce n’est pas leur comportement ou leurs qualités qui sont en question, mais bien leur taille. L’Uruguay s’est crée ses meilleurs séquences grâce à son jeu long. Non-pas sur contre, mais en partant de son gardien.
L’avantage de taille de Cavani – et même d’Abel Hernandez à 10 – est dissuasif pour les stoppeurs Chiliens, notamment Medel, qui ne mesure qu’un mètre 70. Condamnés à perdre les seconds ballons (même Rolan a souvent pris le dessus sur Jara), les Chiliens doivent reculer pour ne pas être pris dans leur dos.
Ils ont adopté un position particulièrement basse sur les dégagements de Muslera, et pas seulement les 6-mètres (sur lesquels le hors-jeu ne compte pas, du moins sur la première passe).
L’Uruguay en a profité pour gagner du terrain, et s’il n’a pu inquiéter Bravo que de loin sur ces remises, plusieurs frissons sont passés dans l’Estadio Nacional.
Conclusion : La taille au centre de tout
En définitive, les limites athlétiques du Chili sont au centre du débat au moment de l’évaluer en tant qu’équipe.
En possession, les Chiliens sont capables de créer les conditions du centre grâce à leurs passes diagonales, à la position haute de leurs latéraux et aux appels verticaux de leurs milieux ; mais n’ont pas les centimètres pour conclure ces séquences par des centres, comme peut le faire l’OM par exemple. En cas d’interceptions, ils sont alors totalement déséquilibrés.
En passant en 4-3-3, ils ont obtenus plus de liant entre relance et construction, mais ce style implique une maitrise des airs qu’ils n’ont pas – et qu’ils auront encore moins avec la suspension de Jara. Le Chili n’a pas de Batistuta, et il n’a pas non plus de Pique.
L’Uruguay les a mis en échec en appuyant sur ce point faible, et c’est le rouge de Cavani qui a fait tourner le match. Croiseront-ils à nouveau une équipe capable de faire la même chose ?
Victor
Merci pour cette analyse extrêmement riche de cette équipe qui a finalement réussi à dépasser ses points faibles pour aller au bout de cette belle compétition. Je me demande quand même pourquoi le chili a attendu la demi-finale contre le pérou pour utiliser la frappe de loin ( c.f Vargas). Pourtant l’occupation des espaces, la fixation des défenseurs avec beaucoup de joueurs sur la même ligne devant, couplé à leur qualité de dribble aurait permis cela bien plus tôt a mon goût.
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