« Nous devons rester humbles ». Malgré son bilan parfait sur le plan comptable, Rudi Garcia garde la tête froide. Vendredi soir, sa Roma a encore pris trois points, face à l’un de ses concurrents majeurs : le Napoli de Rafa Benitez. Grace à un jeu varié et une gestion lucide de leurs temps faibles, les Romains passent avec succès cette nouvelle étape de montagne, après avoir fessé l’Inter 3-0 à San Siro. Retour sur ce premier duel au sommet entre les deux coachs étrangers du moment en Serie A.
433 contre 4231 et déchet napolitain
L’entame de la partie laisse croire à une opposition classique et logique entre Garcia le faux-Français à l’espagnole et Benitez le faux-Espagnol à l’italienne : un 433 de possession et d’occupation face à un 4231 d’attaque rapide.

Côté Romain, un seul changement par rapport aux deux derniers matchs : Dodo remplace Balzaretti, suspendu, au poste de latéral gauche. En face, Benitez tente un coup avant la Ligue des Champions en préservant Higuaín au profit de Pandev.
Dès les premières minutes, la Roma redouble les passes et rallonge les séquences alors que le Napoli joue beaucoup plus direct. Après 3 minutes, Maicon et Dodo ont déjà centré tous les deux. La Rome investit le camp du Napoli et les partinopei n’attaquent qu’en deux ou trois passes. Insigne cherche Callejon dès la 4e. Comme pour avertir les Romains que 3 passes pourraient suffire à les punir, s’ils venaient à se découvrir. Le match s’emballe au quart d’heure : une occaz’ pour De Rossi, une autre pour Gervinho, puis une séquence de 15 passes tout en mouvement, en largeur et en triangulations enflamment l’Olimpico. Naples est dominée. Si l’option choisie par Benitez est pertinente, l’exécution pour l’instant trop brouillonne des attaques rapides empêche le Napoli de mettre véritablement en danger cette Roma joueuse et confiante. 4 tirs à zéro pour les Romains après une demi heure de jeu.

Seulement 79 % de passes réussies pour le Napoli en première mi-temps : A cause d’un trop grand déchet, les sudistes doivent attendre plus d’une demi-heure pour solliciter De Sanctis…
La Roma avertie…
Privée de Totti (blessé) à la 30e, la Roma continue à jouer. Peut-être un peu trop. Alors qu’ils placent une longue séquence dans le camp Napolitain, les Romains se désorganisent. Strootman tente de combiner avec Boriello, et s’égare loin de son cœur du jeu. Inler sert Insigne : en une touche l’ailier Italien de poche trouve Pandev. Couvert par Castan, l’ancien Laziale se retrouve en face à face avec Morgan de Sanctis. Un appel, une passe : une occaz’. De Sanctis reste debout, freine la frappe du Macédonien et De Rossi sauve sur sa ligne. Benitez est passé tout prêt de réussir un coup énorme : prendre l’avantage en contre, tout en gardant son meilleur atout offensif sous le coude…
Avertissement sans frais, les Romains ont parfaitement compris la leçon : sur l’action qui suit, ils défendent à 8 et posent une contre-attaque éclair, qui rappelle celle des deuxième et troisième buts incrits à Meazza face à l’Inter. L’action n’aboutit pas, mais le message est passé : en se livrant trop, les Romanistes se sont mis en grand danger face à un Napoli qui n’a pas prévu de faire 25 passes pour arriver dans la surface.
Money time : Gervinho vs Insigne
Les dix dernières minutes de la première période sont une belle bagarre. A cet instant-là, le match peut vraiment basculer des deux côtés. Ce « moment » va se jouer entre les deux dynamiteurs offensifs des deux équipes : Gervinho et Insigne. L’Ivoirien ouvre le bal à la 42e : lancé côté gauche, l’ancien Gunner travaille Albiol, accélère et se retrouve pris en sandwich par Maggio et l’ancien central madrilène. Le penalty n’aurait pas été scandaleux. L’espoir italien donne le change à la 45e. Toujours en attaque rapide. Cette fois-ci, c’est Pandev qui sert Insigne, le lutin napolitain dépasse Maicon, est touché dans la surface, mais choisi de frapper, petit côté. Poteau sortant. Le coup est dur pour Benitez dont le plan aura permis à son équipe de se créer les 2 plus grosses occasions de la première mi-temps, sans efficacité
La dernière possession est pour l’ancien Lillois, sa pénétration va être fatale. Servi par Pjanic, il efface facilement Behrami avant de pousser Paolo Cannavaro à une grosse faute, alors que celui-ci venait d’entrer. Jaune. Le Bosnien nettoie la lulu et fait basculer la partie du côté romain. 1-0. Deux semaines après San Siro, la capacité de percussion et la rapidité de Gervinho font encore basculer un match contre un concurrent direct. A la mi-temps, on ne peut pas parler d’une démonstration tactique de Garcia sur Benitez, mais plutôt d’un match équilibré qui a basculé sur des moments-clé.

Le match dans le match des dynamiteurs : Gervinho – Insigne. 2 (3 ?) duels gagnés sur 4 pour l’Eléphant, qui enchaine une deuxième grande performance individuelle consécutive. Il sort blessé à la 56e.
Du 4-3-3 au 5-4-1, la tortue romaine
Piégé en souplesse par l’équipe qu’il venait braquer, le Napoli revient fâché en seconde période, bien obligé de prendre un peu plus le jeu à son compte. Les séquences sont plus longues et la Roma se réorganise, tout en humilité. De Rossi vient s’intercaler entre ses deux centraux et Strootman devient milieu défensif. Boriello est parfois arrière droit. La Rome joue alors quelque part entre le 532, le 541 et le 7-2-1. Elle défend parfois à 8 ou à 9. Mais le plan fonctionne : les Napolitains ne peuvent conclure leurs longues séquences que par des frappes lointaines. Inler inquiète De Sanctis à la 49e, Hamsik est plus percutant, mais les Giallorossi digèrent ce temps faible sans encombre. La frappe désespérée, forcée et pigeonesque de Cannavaro à la 63e symbolise l’impuissance offensive du Napoli face à cette superbe tortue romaine.

La Roma ferme la boutique en deuxième période, en défendant très bas et en nombre. Incapable de pénétrer, le Napoli ne peut frapper que de loin. Un superbe 6-3-1, quelque part entre Pablo Correa et l’Inter du Camp Nou.
Reculer, tenir… et plier le match
Si on ne peut pas dire que la Roma ait « décidé » ce temps faible, on peut dire qu’elle l’a parfaitement anticipé, et qu’elle s’y est parfaitement adaptée. L’intelligence de reculer, l’humilité de subir. On ne peut pas vraiment parler de maîtrise, mais cette période de souffrance parfaitement gérée prouve la capacité d’adaptation de cette Roma polymorphe. D’autant plus qu’après 25 minutes à courber l’échine, les hommes de Garcia vont sortir, et piquer. Première attaque placée de la seconde période à la 70e. Le ballon circule bien. Dodo et Strootman combinent à gauche, le Hollandais sert De Rossi. Renversement du barbu pour Pjanic qui trouve Florenzi à droite. L’Italien centre dans l’espace : Boriello y plonge, Cannavaro le ceinture. Penalty, rouge, but. 2-0. Le match est déjà fini. Un café, l’addition. Le Napoli n’a rien pu faire de son temps fort et se fait punir juste derrière. Rudi a tout bon. En fin de match, pour se donner de l’air, les Romains narguent même leurs rivaux du Sud par de longues et insolentes séquences de conservation de balle.

108 passes de moins que le Napoli en seconde mi-temps: La Roma, dominée, s’en sort par un défense basse et renforcée, et par de longues et malines séquences de conservation au milieu du terrain.
Dobbiamo restare umili
L’ancien coach Lillois l’a martelé toute la semaine, il ne se prend pas pour un autre, et sait que son équipe n’est pas la meilleure du monde. Peut-être même pas la meilleure d’Italie. Mais quand son bloc souffre, Rudi ne joue pas au con. Il n’envoie pas ses centraux jouer des hors-jeu suicidaires à 45m de leur but, il s’en sort par un repli discipliné et abandonne la ballon. Le coach français ne bricole pas, il optimise. Il a bâti une équipe à la fois intelligente, maline, mature ; consciente de sa valeur et de ses limites. L’humilité sur laquelle Garcia a tant insisté, on l’a vue lors des temps faibles de la Roma. Pas de complexe d’infériorité empêchant de jouer assez, pas non-plus de complexe de supériorité poussant à trop le faire.
L’ancien entraineur du LOSC a trouvé un équilibre. 1 seul but encaissé en 8 journées. 22 marqués. Evidemment, pour gagner 8 fois en 8 matchs et aligner de telles stats, il faut un peu de chance. La Roma en a eu ce soir. Elle aurait très bien pu rentrer au vestiaire menée à la pause. Rafa Benitez n’avait pas tout faux. Mais si tous les voyants sont au vert, le grand 8 romain ne saurait être le fruit de la bonne fortune, tant son coach semble avoir tout prévu. Stagiaire chez son adversaire du soir alors qu’il coachait le grand Valence des années 2000, l’ancien entraineur de Dijon a fait du chemin. En continuant cette série Philjacksonesque, il valide doucement mais sûrement sa place dans le gotha des grands coachs de demain.
Victor