Dernière évolution tactique en date du Catalan : un 4-2-4 sans latéraux et avec un défenseur central, John Stones, parfois aligné milieu défensif. Tentative d’explication du cheminement et de la logique du coach de Man City, qui tutoie son rêve ultime face à l’Inter à Istanbul.

L’organisation offensive de City face au Real : Ici une défense à Akanji – Dias – Walker, devant eux Rodri – Stones, plus haut Gundogan de Bruyne. Grealish Bernardo au large et Haaland devant. Un schéma modulable en fonction de plusieurs critères.
Sortie de balle, changement de rythme, et transition défensive : objectifs universels
Quel que soit le système ou l’animation d’une équipe, certains objectifs sont communs à tous les entraineurs du monde.
L’organisation offensive initiale, la sortie de balle, a pour but d’atteindre le camp adverse, ou d’éliminer les 2 premières lignes de l’adversaire, pour le forcer à reculer en bloc, sous peine d’être totalement déséquilibré.
Quand un joueur offensif est trouvé un (ou plutôt 2) cran(s) plus haut, derrière le milieu ou dans le dos de la défense adverse, on peut parler de changement de rythme.
Le passage de l’attaque à la défense fait également l’objet d’une recherche d’équilibre (plus ou moins aboutie) de la part de tous les entraineurs de la planète.
Ces deux champs de compétence collectifs fondamentaux (bien attaquer, et rester équilibré en cas de perte) en plus de la phase défensive en tant que telle, sont au cœur des choix de système de Guardiola et de ses choix d’homme.
Ils peuvent surprendre de prime-abord (Akanji arrière gauche, Stones milieu défensif…) mais sont justifiés par une approche très terre-à-terre : optimiser les profils et le rendement de chaque rôle, dans toutes les phases du jeu.
Plus de personnel sous-qualifié pour aucune tâche
4-4-2, 4-3-3, 3-2-5… Si ces combinaisons numériques peuvent évoquer la même chose pour deux militants du même parti, elles ne donnent qu’une vision parcellaire de l’objectif de l’entraineur à travers cette disposition, représentée en avant-match.
En réalité, comme on le voit plus haut, on pourrait séparer les 10 joueurs de champ d’une équipe en deux groupes : Les sorteurs de balle, et les changeurs de rythme.
5 + 5.
À Barcelone, Dani Alves, latéral en phase défensive, était (parfois…) ailier en phase offensive. Dans le 5-5 décrit plus haut, il appartiendrait alors au second groupe.
Busquets, de milieu défensif, est passé à défenseur via le sempiternel décrochage « entre les centraux ». Ainsi, si le Barça perdait le ballon pendant ce processus initial de préparation au changement de rythme, il n’était pas impossible de trouver le filiforme pivot dans la position (et avec les prérogatives, dans l’urgence) d’un défenseur central. Avec forcement des couacs et des buts pris en contre face à des adversaires rusés.
Au Bayern, Guardiola a approfondi ses recherches pour développer d’autres schémas offensifs. Le 2-3-5 fut identifié, et on a pu trouver des profils comme Alaba ou Bernat dans la ligne d’attaque (le 2e 5) avec le ballon.
D’autres profils, très agiles, mais frêles, comme Thiago, appartenaient quant à eux au premier 5, les sorteurs de balle. Avec la balle et (donc) également sans, au moment de la transition défensive.
Idéal pour initier les actions et joindre l’autre groupe de 5. Problématique pour gérer une transition défensive face à une équipe outillée pour contre-attaquer.
Latéral en phase défensive, Bernat avait explosé en vol défensivement face à l’Atletico en 2016.
Hearts made of Stones, will never break
Cette information sera interprétée par les uns et les autres de différentes façons selon leur sensibilité : c’est à une disette de 12 ans que Guardiola voudra mettre fin à Istanbul.
Forcément, il a toujours manqué quelque chose pour gagner la Champions League, malgré des moyens à la mesure de cet objectif. Et c’est toujours dans la réaction à la perte, ou dans le travail défensif que le bât a blessé.
Instable face à Falcao et Mbappe en 2017, taillé en pièces par l’explosivité de Salah en 2018, City n’a, depuis, cessé de progresser défensivement et dans la conservation de l’équilibre.
Jusqu’à l’état de grâce face au PSG de Neymar et Mbappe en 2021, privé du moindre tir pendant la dernière heure d’un match aller survolé par les Citizens, organisés en 4-4-2 sans le cuir.
Face au Real l’an dernier, Guardiola n’était pas loin du coup parfait en tablant sur cette même organisation défensive, toujours d’actualité, et aux principes très basiques.
Si proche, si loin… Un ballon de Mason Mount pour Havertz en 2021, un autre de Camavinga pour Benzema 2022 : City craque 2 fois de trop et la gloire continentale part en fumée.

Mount trouve Havertz dans le dos, alors que Zinchenko s’aligne et perd le contrôle de l’Allemand

Camavinga trouve le dos de la défense, alors que Cancelo (27) couvre Benzema
A chaque fois, d’une façon ou d’une autre, un latéral, aux caractéristiques plutôt offensives (Zinchenko en 2021 / Cancelo en 2022) perd le contrôle de la profondeur.
Deux profils poussés vers la sortie ces derniers mois.
Quand City défend, aujourd’hui, on trouve Walker – latéral plutôt défensif – et Akanji ou Ake (centraux de formation) au poste de latéral gauche et droit.

Positions moyennes de City face au Real (aller) Walker (2) et Akanji (25) aux postes de latéraux droit et gauche
Sur le papier, Stones est l’autre défenseur central qui accompagne Ruben Dias, pour former ce back4 ultra solide, qui rappellera à certains l’option « choisir position » à l’époque où les manettes avaient besoin d’un fil pour se brancher aux consoles. DC – DC – DC – DC.
Le parti pris de Guardiola est simple : les « sorteurs de balle » sont désormais tous des joueurs ultra-compétents défensivement. Rodri et les 4 précédemment cités.
Selon l’organisation de l’adversaire, City s’organise pour être béton sans le ballon, et au moment de le perdre.
Les joueurs fixés par Walker et Akanji avec ballon (c’est à dire, les joueurs dont ils attirent/provoquent la pression) sont les mêmes qu’ils récupéreront en cas de perte.
Face à Arsenal, qui n’a eu que deux misérables tirs jusqu’au 2-0, Akanji n’a pas fait de folie face à Saka, et City n’a jamais attaqué sans que l’Anglais soit sous la surveillance du Suisse, ou sous un contrôle total de Ruben Dias.
Pas de Stones au milieu ici, on sort le ballon en 4+2, dans l’espoir de fixer tous les milieux et les attaquants d’Arteta, avant de trouver la passe fatale pour jouer un 4 contre 4, voire un 2v2 entrée Haaland – De Bruyne et la paire de centraux.


Transition défensive de City sur un long ballon intercepté par Zinchenko. A part Gundogan, tous les joueurs impliqués dans la sortie de balle sont des profils défensifs. City est solide à la perte.

Par la suite, City bascule sur son ambitieux plan de jeu défensif en 442 : Ruben Dias et Stones se permettent de mettre Jesus hors-jeu, et Martinelli et Saka ont de sérieux clients en la personne de Walker et Akanji.

Quelques secondes plus tard, après avoir basculé en phase défensive. City retrouve son 4-4-2 sans la balle. En haut de l’écran, Akanji (central) peut gérer Saka
Face au Real, une autre organisation adverse (4-3-3/bloc souvent bas) appelle une autre sortie de balle de City. Avec le même objectif : une transition en béton.
Madrid défend en 433. 4-1-2-3. Au 2-3 du Real, Pep oppose un 3-2. En regardant les positions moyennes de City, on peut voir le 4-3-3 du Real épousé par le 3-3-4 de City. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas vraiment de supériorité numérique. L’important est que chaque madrilène ait un référent. Un joueur qui le récupère quand City perd la balle.

Les positions moyennes de City, et le 4-3-3 du Real, avec les « couples » de transition
Le bloc du Real est « si bas » que City n’a pas vraiment besoin de supériorité numérique. Par contre, avec Kroos, Valverde et Modric, le Real a deux artilleurs de choix pour lancer ses contres, et un ailier gauche dévastateur. L’objectif est d’empêcher toute prise de vitesse ballon au pied.
Autant mettre les hommes les plus compétents pour cette tâche. C’est le sens de la présence de Stones au milieu. Avec Stones et Rodri aux basques, dur d’exister sur les premiers ballons récupérés pour Modric et Valverde.
Vinicius, Rodrigo et Benzema sont eux chassés (selon où va le ballon) par Walker, Dias ou Akanji.
Illustration sur la transition qui précède l’égalisation, alors que Madrid étouffe en bloc bas :


Après la frappe contrée de Rodri, Benzema est servi dans les pieds. Ruben Dias vient immédiatement le tamponner pour l’empêcher de se retourner. On distingue bien les 2 groupes de 5 de City.
En théorie, Rodri et Stones doivent gérer Valverde et Modric à la perte de balle. On voit que Walker est très attentif à Vinicius JR et prend sa course.

Benzema est forcé à temporiser, et lorsqu’il va jouer par dépit sur Camavinga, City se sera déjà réorganisé. Aucun Madrilène ne peut jouer vers l’avant et le piège va se refermer sur le Français à qui Bernardo va chipper le ballon.

L’essentiel est ailleurs pour City : le Real n’existe pas en contre-attaque.
Dans le 3-1-4-2 de l’Inter, c’est Hakan Calhanoglu (10 naturel) qui occupe le rose de Stones avec la balle.
Guardiola veut éviter les situations dans lesquelles le Turc (numéro 10 de formation) a dû se muer en défenseur, comme sur l’alerte Leao juste avant la mi-temps du retour.
Les attaquants attaquent, la boucle est bouclée
En confiant la largeur, qui est en définitive une forme de fixation, donc de menace pour la dernière ligne adverse (donc pas les deux premières, la tâche des sorteurs de balle), à de purs offensifs comme Grealish ou Mahrez (changeurs de rythme) Guardiola s’inscrit dans une démarche claire : chacun à sa place, pour faire ce qu’il sait faire.
· 5 « sorteurs de balle », tous compétents défensivement : Walker – Dias – Akanji + Stones – Rodri
· 5 changeurs de rythme : 2 « écarteurs » (plus ou moins larges, c’est un autre et vaste sujet) : Mahrez/Bernardo – Grealish – 3 « finisseurs » (en tout cas préposés au dernier/avant-dernier geste) : De Bruyne – Haaland – Gundogan.
6 en phase défensive, l’Allemand est bien un attaquant avec la balle. En quelque sorte, il n’a pas le niveau pour gérer la transition défensive face aux attaquants adverses.
En partant de ce modèle de jeu, certains ajustements peuvent sembler tirés par les cheveux.
Ils correspondent tout simplement aux schémas défensifs / offensifs et aux asymétries de l’adversaire.
Guardiola va passer d’un pur 4-2-4 face à Arsenal, à un « 3-1-1-1-4 » face au Real, avec la même volonté : bien sortir la balle, être en contrôle à la perte.
5 fois champion de la meilleure ligue du monde en 6 ans, il semble avoir réponse à tout, et notamment à la manœuvre d’un bloc bas, que l’Inter d’Inzaghi maitrise sur le bout des doigts.
Avec des profils comme Walker ou Nathan Ake – assez défenseur central pour défendre, assez arrière latéral pour combiner ou centrer – aux cotés de Ruben Dias, il se donne l’option de centres dangereux venus de la base de relance / du premier 5, alors que l’adversaire fait intelligemment la grève du pressing haut, et défend avec 8 ou 9 joueurs de champ quasi superposés.
Guardiola – incarnation d’une modernité toute technique, technologique et matérielle – continue à amasser infos et innovations pour forcer son destin, et donne vie à l’utopie d’un équilibre parfait entre modèle de jeu et ajustements logiques selon les caractéristiques adverses.
La finale d’Istanbul se veut le couronnement de cette quête effrénée, qui dure depuis 10 ans, et la nomination du Catalan en Bavière.
Victor Lefaucheux